L'entreprise n°202 - juillet 2002 dossier société par actions simplifiée
Bruno Cargnelli
SAS : la troisième voie.
Entre le statut
de SARL, au capital peu élevé et réservé
aux petites entreprises, et la SA aux règles de fonctionnement
strictes et étroitement encadrées, un nombre croissant
d’entreprises françaises optent pour une troisième
voie, à la fois plus souple et plus sécurisante : la
société par actions simplifiée, ou SAS.
L’Entreprise
fait le point sur les atouts réels d’un statut
récent – il a été créé en 1994
et remanié en 1999- qui séduit simultanément
créateurs d’entreprises, gérants de grandes PME et
managers de multinationale.
Avec une question à la clé : et si la SAS concernait aussi votre activité ?
La société par actions
simplifiée ou SAS, a été instaurée par la
loi du 3 janvier 1994. Le législateur souhaitait alors
créer un statut de société autonome, distinct de
celui de la SA, accordant une plus grande place à la
liberté contractuelle, tout en limitant la responsabilité
des associés à leur apport.
Cette première mouture de la
SAS, n’a connu qu’un faible succès. Elle ne
concernait en effet que les grandes entreprises et leurs
opérations de filialisation, la loi limitant
l’accès de la SAS aux personnes morales.
Une restriction
dénoncée à l’époque, et
corrigée le 12 juillet 1999 par l’article 3 de la
réforme de l’innovation et de la recherche, qui ouvre le
statut de président de SAS aux personnes physiques.. Le statut
de SAS unipersonnelle (SASU), à associé unique est
même créé, qui peut représenter une
alternative intéressante au statut d’EURL.
Notre pays, réputé pour
ses rigidités administratives, aurait-il finalement
donné le jour au statut souple, adaptable et efficace que
tous les entrepreneurs appelaient de leurs vœux ?
La question mérite d’être étudiée.
Liberté totale
Concrètement, moyennant un
apport en capital de 38 112 Euros (250 000F) libérable pour
moitié sur 5 ans, tous les montages deviennent envisageables
avec la SAS.
Les seules contraintes
sont la nomination d’un président, et
l’impossibilité de faire appel à
l’épargne publique. Même s’il est possible
à tout moment de transformer une SAS en SA, y compris dans les
deux ans suivant la création, et que rien n’empêche
par ailleurs une SAS de créer une filiale cotée.
Tout le reste : répartition du
capital, organisation, modes de fonctionnement , est
paramétrable en fonction des besoins .
C’est cette
particularité qui a initialement séduit Serge Roos et ses
deux associés, lorsqu’ils fondent, en octobre 2000, une
place de marché immobilière sur Internet. «
Nous étions à l’époque au cœur
de la “vague du e-commerce“, et nous voyions grand,
explique-t-il. Pour notre avocat, le principal avantage de la SAS
était, outre la possibilité d’intégrer des
acteurs différents et de rémunérer chacun en
fonction de la nature des apports, de procéder facilement
à des augmentations de capital, au fur et à mesure des
partenariats ». En fait, le dégonflement de la bulle
Internet va changer radicalement les plans des associés.
«Notre place de marché a été stoppée
en janvier dernier. Mais notre entreprise continue, avec des
activités immobilières plus traditionnelles et une offre
de services multimedia dédiée au secteur immobilier. Le
fonctionnement n’est pas plus lourd que celui d’une SARL-
le coût du commissaire au compte, notamment, est comparable
à celui d’un comptable – et nous sommes prêts
à relancer notre projet initial dès que repartira la
demande de ce type de prestations».
On le voit la SAS n’est pas réservée aux entreprises du secteur des nouvelles technologies.
Le rythme de leur création va
s’accélérer significativement, dans tous les
secteurs, dès l’année 2000.
Aujourd’hui, cette forme de
société tend même à devenir la règle.
« Le seul cas dans lequel nous envisageons encore la
création de SA, c’est lorsque est prévue une
introduction en bourse à court terme, déclare Jacques
Isnard, du Bureau Francis Lefebvre. Dans tous les autres cas, à
l’exception des petites entreprises artisanales, nous
étudions d’emblée la solution SAS, pour la
souplesse des statuts et la liberté d’organisation
offertes».
Un statut sur mesure
Souplesse et Liberté. Voilà bien les mots-clés de la SAS.
« Ce statut permet tout
simplement de se passer de tout ce qui fait les lourdeurs de
fonctionnement d’une SA : pas de conseil d’administration,
pas d’assemblée d’actionnaires
réunissant 15 administrateurs, nous nous concentrons
désormais sur le pilotage de l’entreprise. C’est
à dire sur l’essentiel», explique Martin Willemsen,
Président de la SAS Baumer Electric France, filiale d’une
holding suisse, qui a décidé, en 1999 d’abandonner
le statut de SA au profit de celui de SAS ( voir témoignage).
Au delà de
l’instauration d’un fonctionnement plus fluide de la
société, force est de constater, lorsque l’on
étudie un tableau comparatif des différents statuts, que
la SAS ne manque pas d’attraits.
Et si ces avantages sont bien connus
et mis à profit par de grandes entreprises, ils ne devraient pas
laisser insensibles responsables de grandes PME et d’entreprises
familiales..
Jacques Isnard, du Bureau
Francis Lefebvre est formel : «Certaines SARL importantes peuvent
avoir intérêt à opter pour ce nouveau statut,
explique-t-il. La formule peut-être particulièrement
intéressante, en particulier pour préparer une
transmission d’entreprise : alors qu’une PME classique sera
soumise à des droits d’enregistrements de 4,80% du prix de
cession des actions, ce montant est plafonné à 3049 Euros
(20 000 F) dans le cas de la SAS. »
La SAS : pour quelles entreprises ?
À partir d’un certain
seuil d’activité, la possibilité de prévoir
des règles de fonctionnement assouplies peut concerner toute
activité. Quelle PME ne s’estimera pas
intéressée, par exemple, par la possibilité
offerte de prendre les décisions des assemblées
générales par correspondance ou par acte sous seing
privé (à l’exception cependant de certaines
opérations particulières comme les modifications de
capital, une fusion, l’approbation des comptes…)
Autre particularité : une
maîtrise accrue du capital social. La SAS permet en effet
aisément de créer une société
fermée, disposant d’un actionnariat stable, tout en
préservant des possibilités d’évolution en
fonction des opportunités.
« C’est la fin des pactes
d’actionnaires insiste jacques Isnard. Lorsqu’un des
actionnaires d’une SA trahissait un pacte, la plupart du temps la
vente des actions était reconnue comme licite, ne donnant lieu
qu’au versement de dommages et intérêts. De quoi
déstabiliser totalement l’entreprise. Avec la SAS, la
répartition du capital étant précisée dans
les statuts, un tel acte serait frappé de nullité».
Une SAS est donc plus facilement “verrouillable“, et cette
particularité intéresse au premier chef de grandes PME
soucieuses de stabilité.
Un instrument de coopération entre associés
Parmi les autres attraits, on
pourrait citer un statut du dirigeant, relativement avantageux, ou
encore un régime fiscal assimilable à celui d’une
SA.
Mais en clarifiant la
répartition des pouvoirs et des responsabilités, les
missions et rémunérations de chacun, la SAS est aussi et
avant tout un instrument de coopération entre associés.
Cette dimension est absolument essentielle pour Daniel Sparza,
Président de la SAS Oceania Records (voir témoignage).
« Notre projet repose sur la mise en commun de compétences
de natures différentes , explique-t-il. Chacun joue un
rôle clairement défini : direction artistique, commerciale
et marketing dans notre organisation. La SA ne nous aurait permis de
clarifier que les aspects capitalistiques. Avec la SAS, nous avons
intégré cette dimension collégiale dans les
statuts, avec différentes majorités prévues selon
les sujets abordés Ce statut nous a permis d’adapter et de
mettre la structure au service de notre ambition, au lieu de faire le
contraire ».
Au delà d’un certain
seuil de capital et de chiffre d’affaires, PME familiales, SA et
même certaines SARL très importantes doivent se poser la
question de l’évolution vers la SAS. Tout en
renforçant la crédibilité financière et
commerciale de l’entreprise, ce statut autorise une souplesse de
fonctionnement, une maîtrise du capital qui ne doit être
négligée à aucun stade de son
développement: création, croissance, maturité ou
transmission.
Seule contrepartie évidente de
la liberté accordée aux dirigeants, il n’existe pas
de “statut type“ de SAS. Le recours à un conseil est
donc impératif afin d’étudier et définir
l’organisation la mieux adaptée, et les clauses à
intégrer.
Cette opération a bien
évidemment un coût, qui peut être très
variable selon les cas, et auquel il faut ajouter celui,
récurrent, du commissariat au compte.
C’est le prix de cette
liberté totale. Mais au dire des dirigeants de SAS, il est
faible au regard des avantages induits.
Témoignage 1
“Plus simple, plus souple… plus efficace ”
Martin Willemsen, Pdt de la SAS Baumer Electric France
A transformé la SA qu’il administrait en SAS
« Baumer est un groupe
d’origine suisse, spécialisé dans la fabrication et
la vente de capteurs, senseurs et cellules de détection ,
qu’il commercialise au niveau mondial.
Historiquement, la filiale
française a d’abord pris la forme d’une
participation majoritaire dans une SARL. Devenant par la suite
actionnaire unique, le groupe BAUMER souhaitait donner une plus grande
assise financière à sa filiale. La seule solution
possible à l’époque était la SA. Ce fut donc
la forme retenue, mais elle ne satisfaisait personne du fait de la
lourdeur des procédures imposées pour toute prise de
décision. La “paperasserie“ dévorait
notre quotidien.
En 1999, la création du statut
de SAS a immédiatement attiré mon attention du fait de la
souplesse de fonctionnement induite.
Possibilité de verrouiller
l’actionnariat, liberté totale en matière
d’organisation opérationnelle et de contrôle des
décisions, définition claire des responsabilités
de chacun, tout en bénéficiant de la même
crédibilité qu’une SA vis à vis des
partenaires …
Les arguments n’ont pas
été difficiles à trouver pour convaincre
l’actionnaire. Nous avons ainsi mis en place une organisation
claire, et défini des processus de décision plus en
rapport avec la vie réelle de l’entreprise. »
Témoignage 2
Crédibilité et liberté d’organisation
Daniel Sparza, Pdt et Directeur Marketing de la SAS OCEANIA Records,
A opté dès l’origine pour le statut de SAS
Oceania Records est une
société d’édition et de production musicale
spécialisée dans la musique du Pacifique (Australie,
Nouvelle Zélande, HawaÏ et Fidji) fondée par trois
actionnaires à part égale en 2000.
La SAS nous est apparu
d’emblée comme une solution pertinente pour
répondre aux enjeux de notre structure naissante. Il nous
fallait en effet à la fois répondre aux exigences de
crédibilité de partenaires tels que ceux du réseau
de distribution XIII bis qui regroupe des géants comme BMG
France, Universal Music , Sony Music ou Indigo en Allemagne, tout en
gardant un fonctionnement souple. La SARL n’était pas
adaptée à la première exigence, et le
fonctionnement d’une SA, trop lourd pour autoriser la
réactivité dont nous avons besoin.
La SAS nous a permis
d’atteindre à la fois une taille critique et une envergure
rassurantes pour nos partenaires , tout en préservant le mode de
fonctionnement collégial auquel nous étions tous trois
attachés. Elle s’est depuis avéré
l’outil idéal pour accompagner le développement de
notre structure. Nous venons ainsi de faire rentrer un quatrième
actionnaire assurant une base de développement au Royaume-Uni.
Les trois autres associés interviennent quant à eux,
également dans un cadre clairement défini.
J’exerce la fonction de Président de la SAS et de
Directeur Marketing. Mes deux associés, David Trouffier et
Laurent Hercz, assurant respectivement les fonctions de Directeurs
artistique et Commercial.
Témoignage 3
« La SAS peut être une alternative intéressante à la SARL »
Jacques Isnard, avocat conseil, Bureau Francis Lefebvre
Pour les avocats-conseils, la SAS est
un sujet d’actualité brûlant. En lien avec la loi
sur les nouvelles régulations économiques, qui limitent
le cumul de mandats aux conseils d’administration, il
s’agit en effet de transformer nombre de SA en SAS avant
l’échéance de novembre prochain. Ce
phénomène touche avant tout les filiales de grandes
entreprises, mais pas seulement. La SAS séduit un nombre
croissant d’entrepreneurs et de créateurs
d’entreprises, et j’ai par exemple procédé
dernièrement à la transformation en SAS d’une
concession automobile regroupant deux associés.
Les conditions pour une
transformation de SA ou de SARL en SAS sont assez simples : il faut
d’une part l’accord unanime des associés, et
d’autre part procéder à la nomination d’un
commissaire à la transformation – dans les faits, un
commissaire au compte- qui contrôlera l’actif de la
société. Les statuts sont ensuite établis en lien
avec un avocat et rédigés par lui.